Album dedicated to Émile Nelligan (French-speaking Quebecois poet), a man who saw beyond the dream, beyond the paradox of life ...
Prélude triste
Je vous ouvrais mon coeur comme une basilique ;
Vos mains y balançaient jadis leurs encensoirs
Aux jours où je vêtais des chasubles d'espoirs
Jouant près de ma mère en ma chambre angélique.
Maintenant oh ! combien je suis mélancoli
que
Et comme les ennuis m'ont fait des joujoux noirs !
Je m'en vais sans personne et j'erre dans les soirs
Et les jours, on m'a dit : Va. Je vais sans réplique.
J'ai la douceur, j'ai la tristesse et je suis seul
Et le monde est pour moi comme quelque linceul
Immense d'où soudain par des causes étranges
J'aurai surgi mal mort dans vertige fou
Pour murmurer tout bas des musiques aux Anges
Pour après m'en aller puis mourir dans mon trou.
(Émile Nelligan - francophone poet from Quebec, Canada 1879-1941)
Sérénade triste
Comme des larmes d'or qui de mon coeur s'égouttent,
Feuilles de mes bonheurs, vous tombez toutes, toutes.
Vous tombez au jardin de rêve où je m'en vais,
Où je vais, les cheveux au vent des jours mauvais.
Vous tombez de l'intime arbre blanc, abattues
Ça et là, n'importe où, dans l'allée aux statues.
Couleur des jours anciens, de mes robes d'enfant,
Quand les grands vents d'automne ont sonné l'olifant.
Et vous tombez toujours, mêlant vos agonies,
Vous tombez, mariant, pâle, vos harmonies.
Vous avez chu dans l'aube au sillon des chemins ;
Vous pleurez de mes yeux, vous tombez de mes mains.
Comme des larmes d'or qui de mon coeur s'égouttent,
Dans mes vingt ans déserts vous tombez toutes, toutes.
(Émile Nelligan - francophone poet from Quebec, Canada 1879-1941)
Le spectre
Il s'est assis aux soirs d'hiver
En mon fauteuil de velours vert
Près de l'âtre,
Fumant dans ma pipe de plâtre,
Il s'est assis un spectre grand
Sous le lustre de fer mourant
Derrière mon funèbre écran,
Il a hanté mon noir taudis
Et ses soliloques maudits
De fantôme
L'ont empli d'étrange symptôme.
Me diras-tu ton nom navrant,
Spectre ? Réponds-moi cela franc
Derrière le funèbre écran.
Quand je lui demandai son nom
La voix grondant comme un canon
Le squelette
Crispant sa lèvre violette
Debout et pointant le cadran
Le hurla d'un cri pénétrant
Derrière mon funèbre écran.
Je suis en tes affreuses nuits,
M'a dit le Spectre des Ennuis,
Ton seul frère.
Viens contre mon sein funéraire
Que je t'y presse en conquérant.
Certe à l'heure j'y cours tyran
Derrière mon funèbre écran.
Claquant des dents, féroce et fou,
Il a détaché de son cou
Une écharpe,
De ses doigts d'os en fils de harpe,
Maigres, jaunes comme safran
L'accrochant à mon coeur son cran,
Derrière le funèbre écran.
(Émile Nelligan - francophone poet from Quebec, Canada 1879-1941)
Le Cercueil
Au jour où mon aïeul fut pris de léthargie,
Par mégarde on avait apporté son cercueil ;
Déjà l'étui des morts s'ouvrait pour son accueil,
Quand son âme soudain ralluma sa bougie.
Et nos âmes, depuis cet horrible moment,
Gardaient de ce cercueil de grandes terreurs sourdes ;
Nous croyions voir l'aïeul au fond des fosses lourdes,
Hagard, et se mangeant dans l'ombre éperdument.
Aussi quand l'un mourait, père ou frère atterré
Refusait sa dépouille à la boîte interdite,
Et ce cercueil, au fond d'une chambre maudite,
Solitaire et muet, plein d'ombre, est demeuré.
Il me fut défendu pendant longtemps de voir
Ou de porter les mains à l'objet qui me hante...
Mais depuis, sombre errant de la forêt méchante
Où chaque homme est un tronc marquant mon souci noir,
J'ai grandi dans le goût bizarre du tombeau,
Plein de dédain de l'homme et des bruits de la terre,
Tel un grand cygne noir qui s'éprend de mystère,
Et vit à la clarté du lunaire flambeau.
Et j'ai voulu revoir, cette nuit, le cercueil
Qui me troubla jusqu'en ma plus ancienne année ;
Assaillant d'une clé sa porte surannée
J'ai pénétré sans peur en la chambre de deuil.
Et là, longtemps je suis resté, le regard fou,
Longtemps, devant l'horreur macabre de la boîte ;
Et j'ai senti glisser sur ma figure moite
Le frisson familier d'une bête à son trou.
Et je me suis penché pour l'ouvrir, sans remord
Baisant son front de chêne ainsi qu'un front de frère ;
Et, mordu d'un désir joyeux et funéraire,
Espérant que le ciel m'y ferait tomber mort.
(Émile Nelligan - francophone poet from Quebec, Canada 1879-1941)
Le Soulier de la Morte
Ce frêle soulier gris et or,
Aux boucles de soie embaumée,
Tel un mystérieux camée,
Entre mes mains, ce soir, il dort.
Tout à l'heure je le trouvai
Gisant au fond d'une commode...
Petit soulier d'ancienne mode,
Soulier du souvenir... Ave ! -
Depuis qu'elle s'en est allée,
Menée aux marches de Chopin,
Dormir pour jamais sous ce pin
Dans la froide et funèbre allée,
Je suis resté toute l'année
Broyé sous un fardeau de fer,
À vivre ainsi qu'en enfer,
Comme une pauvre âme damnée.
Et maintenant, coeur plein de noir,
Cette vigile de décembre,
Je le trouve au fond de ma chambre,
Soulier que son pied laissa choir.
Celui-là seul me fut laissé,
L'autre est sans doute chez les anges...
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et moi je cours pieds nus les fanges...
Mon âme est un soulier percé.
(Émile Nelligan - francophone poet from Quebec, Canada 1879-1941)
Le Vaisseau d'or
Ce fut un grand Vaisseau taillé dans l'or massif :
Ses mâts touchaient l'azur, sur des mers inconnues ;
La Cyprine d'amour, cheveux épars, chairs nues,
S'étalaient à sa proue, au soleil excessif.
Mais il vint une nuit frapper le grand écueil
Dans l'Océan trompeur où chantait la Sirène,
Et le naufrage horrible inclina sa carène
Aux profondeurs du Gouffre, immuable cercueil.
Ce fut un Vaisseau d'Or, dont les flancs diaphanes
Révélaient des trésors que les marins profanes,
Dégoût, Haine et Névrose, entre eux ont disputés.
Que reste-t-il de lui dans la tempête brève ?
Qu'est devenu mon coeur, navire déserté ?
Hélas! Il a sombré dans l'abîme du Rêve!
(Émile Nelligan - francophone poet from Quebec, Canada 1879-1941)
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Et comme les ennuis m'ont fait des joujoux noirs !
Je m'en vais sans personne et j'erre dans les soirs
Et les jours, on m'a dit : Va. Je vais sans réplique.
J'ai la douceur, j'ai la tristesse et je suis seul
Et le monde est pour moi comme quelque linceul
Immense d'où soudain par des causes étranges
J'aurai surgi mal mort dans vertige fou
Pour murmurer tout bas des musiques aux Anges
Pour après m'en aller puis mourir dans mon trou.
(Émile Nelligan - francophone poet from Quebec, Canada 1879-1941)
Sérénade triste
Comme des larmes d'or qui de mon coeur s'égouttent,
Feuilles de mes bonheurs, vous tombez toutes, toutes.
Vous tombez au jardin de rêve où je m'en vais,
Où je vais, les cheveux au vent des jours mauvais.
Vous tombez de l'intime arbre blanc, abattues
Ça et là, n'importe où, dans l'allée aux statues.
Couleur des jours anciens, de mes robes d'enfant,
Quand les grands vents d'automne ont sonné l'olifant.
Et vous tombez toujours, mêlant vos agonies,
Vous tombez, mariant, pâle, vos harmonies.
Vous avez chu dans l'aube au sillon des chemins ;
Vous pleurez de mes yeux, vous tombez de mes mains.
Comme des larmes d'or qui de mon coeur s'égouttent,
Dans mes vingt ans déserts vous tombez toutes, toutes.
(Émile Nelligan - francophone poet from Quebec, Canada 1879-1941)
Le spectre
Il s'est assis aux soirs d'hiver
En mon fauteuil de velours vert
Près de l'âtre,
Fumant dans ma pipe de plâtre,
Il s'est assis un spectre grand
Sous le lustre de fer mourant
Derrière mon funèbre écran,
Il a hanté mon noir taudis
Et ses soliloques maudits
De fantôme
L'ont empli d'étrange symptôme.
Me diras-tu ton nom navrant,
Spectre ? Réponds-moi cela franc
Derrière le funèbre écran.
Quand je lui demandai son nom
La voix grondant comme un canon
Le squelette
Crispant sa lèvre violette
Debout et pointant le cadran
Le hurla d'un cri pénétrant
Derrière mon funèbre écran.
Je suis en tes affreuses nuits,
M'a dit le Spectre des Ennuis,
Ton seul frère.
Viens contre mon sein funéraire
Que je t'y presse en conquérant.
Certe à l'heure j'y cours tyran
Derrière mon funèbre écran.
Claquant des dents, féroce et fou,
Il a détaché de son cou
Une écharpe,
De ses doigts d'os en fils de harpe,
Maigres, jaunes comme safran
L'accrochant à mon coeur son cran,
Derrière le funèbre écran.
(Émile Nelligan - francophone poet from Quebec, Canada 1879-1941)
Le Cercueil
Au jour où mon aïeul fut pris de léthargie,
Par mégarde on avait apporté son cercueil ;
Déjà l'étui des morts s'ouvrait pour son accueil,
Quand son âme soudain ralluma sa bougie.
Et nos âmes, depuis cet horrible moment,
Gardaient de ce cercueil de grandes terreurs sourdes ;
Nous croyions voir l'aïeul au fond des fosses lourdes,
Hagard, et se mangeant dans l'ombre éperdument.
Aussi quand l'un mourait, père ou frère atterré
Refusait sa dépouille à la boîte interdite,
Et ce cercueil, au fond d'une chambre maudite,
Solitaire et muet, plein d'ombre, est demeuré.
Il me fut défendu pendant longtemps de voir
Ou de porter les mains à l'objet qui me hante...
Mais depuis, sombre errant de la forêt méchante
Où chaque homme est un tronc marquant mon souci noir,
J'ai grandi dans le goût bizarre du tombeau,
Plein de dédain de l'homme et des bruits de la terre,
Tel un grand cygne noir qui s'éprend de mystère,
Et vit à la clarté du lunaire flambeau.
Et j'ai voulu revoir, cette nuit, le cercueil
Qui me troubla jusqu'en ma plus ancienne année ;
Assaillant d'une clé sa porte surannée
J'ai pénétré sans peur en la chambre de deuil.
Et là, longtemps je suis resté, le regard fou,
Longtemps, devant l'horreur macabre de la boîte ;
Et j'ai senti glisser sur ma figure moite
Le frisson familier d'une bête à son trou.
Et je me suis penché pour l'ouvrir, sans remord
Baisant son front de chêne ainsi qu'un front de frère ;
Et, mordu d'un désir joyeux et funéraire,
Espérant que le ciel m'y ferait tomber mort.
(Émile Nelligan - francophone poet from Quebec, Canada 1879-1941)
Le Soulier de la Morte
Ce frêle soulier gris et or,
Aux boucles de soie embaumée,
Tel un mystérieux camée,
Entre mes mains, ce soir, il dort.
Tout à l'heure je le trouvai
Gisant au fond d'une commode...
Petit soulier d'ancienne mode,
Soulier du souvenir... Ave ! -
Depuis qu'elle s'en est allée,
Menée aux marches de Chopin,
Dormir pour jamais sous ce pin
Dans la froide et funèbre allée,
Je suis resté toute l'année
Broyé sous un fardeau de fer,
À vivre ainsi qu'en enfer,
Comme une pauvre âme damnée.
Et maintenant, coeur plein de noir,
Cette vigile de décembre,
Je le trouve au fond de ma chambre,
Soulier que son pied laissa choir.
Celui-là seul me fut laissé,
L'autre est sans doute chez les anges...
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et moi je cours pieds nus les fanges...
Mon âme est un soulier percé.
(Émile Nelligan - francophone poet from Quebec, Canada 1879-1941)
Le Vaisseau d'or
Ce fut un grand Vaisseau taillé dans l'or massif :
Ses mâts touchaient l'azur, sur des mers inconnues ;
La Cyprine d'amour, cheveux épars, chairs nues,
S'étalaient à sa proue, au soleil excessif.
Mais il vint une nuit frapper le grand écueil
Dans l'Océan trompeur où chantait la Sirène,
Et le naufrage horrible inclina sa carène
Aux profondeurs du Gouffre, immuable cercueil.
Ce fut un Vaisseau d'Or, dont les flancs diaphanes
Révélaient des trésors que les marins profanes,
Dégoût, Haine et Névrose, entre eux ont disputés.
Que reste-t-il de lui dans la tempête brève ?
Qu'est devenu mon coeur, navire déserté ?
Hélas! Il a sombré dans l'abîme du Rêve!
(Émile Nelligan - francophone poet from Quebec, Canada 1879-1941)